COMPLAINTE DES MENDIANTS ARABES DE LA CASBAH

ET DE LA PETITE YASMINA TUÉE PAR SON PÈRE.

 

Ismaël Aït Djafer/ Collectif Les Trois Mulets

 

Mise en scène : Vincent Farasse

Collaboration artistique : Claire Cahen

Jeu : Ali Esmili
Voix off : Jean François Lapalus

Durée : 35mn

Spectacle disponible en tournée saison 2015-2016

Djafer n’a composé qu’un seul poème dans sa vie, et c’est celui-là. Après, il n’a plus jamais écrit. Mais cet unique poème a marqué bon nombre d’auteurs phare de cette époque, tels que Sartre, qui publia d’ailleurs ce texte dans Les temps modernes, et Kateb Yacine.

Une farce tragique à partir d’un fait divers : le drame quotidien devenu banal d’une fillette de cinq ans tuée par son père, un mendiant algérien, à Paris, en 1949. Aït Djafer, avec un humour grinçant, renverse la perspective, et fait du meurtrier, que les juges ont considéré comme fou, un être responsable, totalement. Sa fille et lui dorment dehors, n’ont rien mangé depuis des jours entiers, il choisit de la tuer plutôt que de continuer à lui faire mener cette vie de misère. Un acte, pour Aït Djafer, responsable, un choix, qui en fait le martyre de toute une politique.

Ce poème est structuré comme un monologue. Le narrateur, en racontant l’histoire de Yasmina, réalise un parcours qui débouche sur une prise de conscience et le début d’un processus révolutionnaire. C’est à cette expérience que l’on assiste, au présent, par la mise en jeu du poème.

L’acteur est seul sur plateau nu. Un théâtre brut, un théâtre d’urgence, à l’image de celle qui anime le poème. Un théâtre qui mélange les genres, le comique et le tragique, la fable populaire et le poème lyrique, sans souci des codes établis.

 



                            L'AUTEUR

 

 

Ismaïl Aït Djafer (1929-1995)



Il né en 1929, la même année que Kateb Yacine, et ils deviennent amis en 1949. Il est l’auteur d’un seul poème, Complainte des mendiants arabes de la casbah et de la petite Yasmina tuée par son père, publié à Paris dans la revue de Jean-Paul Sartre, Les temps modernes, puis publiée à compte d’auteur et par souscription publique, quelques années avant la guerre.

Kateb Yacine dira de lui :

 

Cette complainte suffit à elle seule à faire d’Aït Djafer un poète (...) Les martyrs ne sont pas seulement ceux qui sont morts pendant la

guerre, sous les coups des ennemis. Il y a aussi les martyrs de l’art, les artistes créateurs toujours martyrisés d’un pays qui se cherche depuis des millénaires, perdu dans son histoire. Aït Djafer s’est sacrifié. Il a tué en lui le poète, et il vit en exil, pour comble de dérision, d’un job bureaucratique.

 

I. Aït Djafer décrit son frère comme un poète dans l'âme. Tout ce qu'il fait est marqué par une dualité de doigté, de douceur, d'humanité vraie. Il avait depuis son enfance un caractère timide, un peu renfermé. Ismaël grandit à la Casbah d'Alger. Très jeune il reçoit «une gifle de la vie» lorsque par accident, il se crève un œil. «Depuis lors il considéra la vie d'un ... œil méfiant», ça rappelle le drame de «la main invisible» d'Issiakhem.

Tôt vers l'âge de 12 ans, il commence à écrire. Les débuts poétiques furent très classiques. Aït Djafer est au lycée. C'est alors un «acharné de Lamartine et de Victor Hugo. Dans le même temps il dessine beaucoup. Ses cahiers sont couverts de croquis et de caricatures». Plus tard, ce goût du dessin et de la caricature ira en grandissant. Au cours d'un séjour en France il passera de longs mois à copier fidèlement la Joconde de Vinci conservée au Musée du Louvre à Paris ... Nous sommes à la veil1e de la 2ème guerre mondiale. L'Algérie est marquée par un bouillonnement politique intense. Les colons viennent de fêter leur premier centenaire (1930) et affirment leur superbe, croyant à la pérennité de leur présence. Le peuple algérien lui est douloureusement opprimé alors que son désir de liberté s'accroît.

Aït Djafer observe, assimile, enregistre. Son regard trouve un support créatif dans des journaux où il publie des textes ou des caricatures. Il créera même un journal : «Ach-Chabab» dans lequel il s'occupera de tout, de la rédaction à la distribution. Il se liera aussi d'amitié avec des personnages comme Kateb Yacine et Isssiakhem. Mais son regard se porte aussi ailleurs.

 

Il est attiré par le mouvement existentialiste naissant en France. L'attirance l'amena irrésistiblement à tenter l'aventure du départ, en 1947. «A Paris il trouva une situation poétique qui répondait à son explosion intérieure». Il y rencontre notamment Sartre et Simone de Beauvoir. Il revient ensuite à Alger, passe son bac et entame des études de droit. A ce moment là survient le drame de Khouni Ahmed qui tue sa petite fille. La texte sera publié grâce à une souscription de 30.000 francs recueillis par l'auteur lui-même. La «complainte» sera diffusée aux souscripteurs et par la jeunesse UDMA qui patronna l'opération.

Le livre est publié également par les éditions P.-J. Oswald (Paris) et par la revue «Les Temps Modernes». L'ouvrage de Aït Djafer aurait même été traduit et publié en anglais en Californie (USA).
Aït Djafer termine ses études et voyage beaucoup en France puis en Scandinavie. A l'indépendance il est recruté à Alger dans divers postes de direction notamment celui de directeur des aéroports d'Alger. Il semblerait qu'on lui doive la conception du parking de l'aéroport d'Alger ainsi que le jardin et le restaurant. Parce qu'il est le poète d'une seule complainte, Aït Djafer reste inconnu du grand public, alors qu'il est l'auteur d'une œuvre maîtresse de la littérature algérienne qui doit figurer dans les programmes scolaires.


VINCENT FARASSE


Né en 1979. Après une licence de Philosophie et des études de musique, il intègre l’ENSATT en tant que comédien. Il y met en scène Je puis n’est- ce pas laisser la porte ouverte, trois nô modernes de Mishima. Comédien, notamment sous la direction de Marie-Sophie Ferdane, Gilles Chavassieux, David Mambouch, et David Jauzion-Graverolles, il met en scène Alladine et Palomides et La mort de Tintagiles de Maeterlinck au Théâtre des Marronniers à Lyon, et Loin de Nedjma, d’après Kateb Yacine et Ismaël Aït Djafer à la Comédie de Valence. De 2006 à 2008, il travaille régulièrement avec Anatoli Vassiliev. Il écrit sa première pièce, Suspendue, en 2006 (bourse du CNT). En 2009, au JTN, il met pour la première fois en scène un de ses textes, L’enfant silence, (revue Europe, 2009). Il met en scène Le Passage de la comète en avril 2012 au Studio-Théâtre de Vitry.

Mon oncle est reporter est mis en espace à Théâtre Ouvert et diffusé sur France Culture en septembre 2012, puis joué au théâtre de l’Échangeur à Bobigny en 2015.
Mon oncle est reporter suivi du Passage de la comète est la première pièce qu’il publie chez Actes-Sud Papiers.

Vincent Farasse a été auteur associé au CDR de Vire en 2012 – 2013.


                              EXTRAIT


C’était quelque chose comme le 20 octobre 1949
A quatorze heures dira le journal Je me suis sauvé dans les ruelles De ma Casbah

Tirant
Par la main le corps de la petite Yasmina
Assassinée
Pendant qu’on enfermait son petit père assassin
Dans une prison de Barberousse
Et pendant aussi qu’on reconstituait son
Assassinat
Publiquement
Avec une poupée de chiffons
Dans les ruelles de la Casbah avec sa main d’assassinée
Et nous avons marché
Tous les jours et toutes les nuits
Frôlant la grande muraille de la civilisation
Les pieds en sang
Le ventre vide
Et la tête lourde du
Sang
Des suppliciés et nous avons hurlé avec sa main d’assassinée